Haïti : les agents marketing itinérants frappés de plein fouet par l’insécurité

À travers le pays, une catégorie de travailleurs longtemps invisibles se retrouve aujourd’hui brutalement mise à l’arrêt : les agents marketing qui, chaque jour, montaient à bord des bus pour présenter leurs produits aux passagers. Leur travail, qui consistait à expliquer, convaincre et vendre à un public en mouvement, constituait pour beaucoup la seule source de revenus. Mais l’insécurité généralisée qui paralyse le territoire national a transformé leur quotidien en une lutte pour la survie.

Une activité stoppée net par la violence généralisée

Présenter des produits dans les bus constituait pour beaucoup d’entre eux l’unique source de revenus. Chaque matin, ils attendaient le véhicule avec lequel ils passeraient la journée. De Portail Léogâne à la Cité Anacaona, du Grand Sud au Nord, en passant par Carrefour et Rail, ces vendeurs sillonnaient autrefois les routes avec les bus de transport en commun. Ils formaient une présence familière, accueillie et souvent encouragée par les passagers eux-mêmes, qui n’hésitaient pas à faciliter la transmission d’un produit ou d’une commande. Ce travail itinérant, digne et respecté, faisait partie du paysage du transport public et garantissait une certaine autonomie financière.

Mais la montée fulgurante de la violence armée a réduit considérablement les déplacements à travers le territoire. De nombreux tronçons routiers sont aujourd’hui impraticables. Résultat : ces vendeurs se retrouvent au chômage du jour au lendemain, sans alternative immédiate.

Des vies bouleversées, des familles déplacées

Pour plusieurs d’entre eux, les conséquences vont bien au-delà de la perte d’emploi. Certains ont perdu leurs maisons, incendiées ou abandonnées lors des attaques. D’autres ont vu des membres de leurs familles disparaître ou mourir. Beaucoup vivent désormais chez des proches dans des communes éloignées de la capitale ou dans des sites d’hébergement improvisés.

Lors d’une rencontre, une agente marketing bien connue des voyageurs du Grand Sud raconte son quotidien bouleversé. Elle continue encore, tant bien que mal, à pratiquer son métier dans les rares trajets encore possibles. Mais ” ce n’est plus rien comparé à ce que je gagnais avant “, dit-elle, la voix serrée. Elle vit désormais chez sa belle-sœur avec ses enfants. Sa maison à Mariani, abandonnée depuis deux ans, reste inaccessible. Malgré tout, elle garde espoir. ” La lumière se lèvera sur Haïti “, affirme-t-elle. ” Je crois qu’un jour je retournerai chez moi. Je reprendrai ma place devant une vingtaine de passagers pour présenter mes produits. J’avais beaucoup de clients… ” a-t-elle conclut.

Une détresse psychologique silencieuse

Ce témoignage est loin d’être isolé. De nombreux agents marketing témoignent de leur détresse : privés de travail, déstabilisés, certains sombrent dans la dépression. L’impossibilité d’exercer leur métier, qu’ils considéraient comme une fierté, exacerbe le sentiment d’inutilité et d’abandon.

Pourtant, au milieu de la tourmente, une phrase revient souvent : ” Malgré tout, le soleil se lèvera sur Haïti. ” Une manière d’exprimer une résilience profonde, presque instinctive, face à une situation qui paraît pourtant sans issue.

Pour les clients qui consommaient régulièrement les produits proposés dans les bus, la situation n’est pas différente. Beaucoup témoignent d’un véritable manque. Certains affirment qu’ils trouvaient, à travers ces agents marketing, des médicaments ou des produits de soins qui les soulageaient lorsque les consultations médicales leur étaient financièrement inaccessibles. ” J’avais des boutons sur le visage, j’avais honte de marcher dans la rue. Un jour, un agent a présenté une crème contre les allergies. Je l’ai achetée pour seulement 250 gourdes, et ça m’a énormément aidé “, raconte une jeune femme, qui explique n’avoir jamais eu les moyens de consulter un dermatologue.

Du côté des amateurs de parfums, les agents représentaient également une occasion unique d’acheter des fragrances de qualité, élégantes et abordables, bien loin des prix pratiqués dans les magasins traditionnels. Pour beaucoup, ces achats constituaient un petit plaisir devenu aujourd’hui inaccessible.

Ainsi, la crise sécuritaire qui paralyse les routes nationales ne plonge pas seulement les agents marketing dans la précarité : elle prive aussi leurs clients d’un service essentiel, pratique et adapté à leur réalité économique. Une chaîne entière de solidarité informelle, fondée sur l’accessibilité et la proximité, s’est brusquement effondrée, laissant travailleurs comme consommateurs dans de véritables tracas.

Un État absent, un peuple épuisé

L’État, dont la mission première est de garantir la sécurité de la population, peine à rassurer. Aucune action marquante n’a encore été posée pour convaincre les citoyens que la paix peut être restaurée. Le pays demeure majoritairement sous la domination de groupes armés qui contrôlent des zones entières, paralysant les déplacements et asphyxiant l’économie informelle.

Pendant ce temps, la population continue de réclamer ce qui devrait être un droit fondamental : la liberté de circuler, de travailler, de sortir la nuit, de vivre. Beaucoup rêvent encore de cette Haïti stable et vibrante, où les bus sillonnaient librement les routes et où les vendeurs itinérants faisaient partie du paysage quotidien.


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